Pierre Niedergang : vers la normativité queer

Objectif du cours
En prenant pour point de départ de cette dernière séance le livre de Pierre Niedergang, Vers la normativité queer, il s’agira de nous demander si l’éloge de la jouissance et de la pulsion de mort, auquel se sont livrés des auteurs queer anti-relationnels tels que Léo Bersani et Lee Edelman, ne les a pas rendus incapables de penser la question des violences sexuelles faites aux femmes (notamment). Plus globalement, nous interrogerons la possibilité d’un renouvellement de la notion de norme, entendue comme processus émergent de normativité.

En effet, bien que les auteurs queer anti-relationnels aient raison de critiquer l’optimisme sous-tendant les politiques identitaires minoritaires chaque fois que cet optimisme confine à un désir d’inclusion (et donc à une forme de normalisation), il est légitime de se demander s’ils ne commettent pas une erreur en réduisant ce désir à un simple instrument d’aliénation au service des politiques néolibérales. Ce désir ne pourrait-il pas, au contraire, être le point de départ de formes de normativité capables de créer des « communs queer » tout en définissant des limites à la négativité radicale contenue dans la jouissance?

Ainsi, l’enjeu de notre réflexion sera de déterminer dans quelle mesure l’approche anti-relationnelle permet, ou empêche, une véritable prise en compte des violences sexuelles et de la construction de nouvelles normes émancipatrices.

Description de l’ouvrage de Pierre Niedergang
« Ce que je propose, c’est une autre approche des politiques et sexualités queers, une approche qui ne se confonde pas avec le refus de toute norme. ‘Le queer’ n’est ni un être ou un état (‘si je suis’), ni le résultat d’une volonté individuelle (‘si je veux’) qui chercherait à affirmer son unicité (‘être unique’). C’est un ensemble de pratiques et de théories hautement conscientes de notre engoncement dans des normes, conscientes du fait que ces normes façonnent les subjectivités corporelles que nous sommes. Les théories et pratiques queers insistent au contraire sur la production sociale de nos subjectivités et de nos corps.

Depuis la fin des années 1980, les pratiques et théories queers ont critiqué les dynamiques de normalisation liées aux dominations cisgenres et hétéropatriarcales. Mais à cette critique a succédé une position purement déconstructrice des normes de la sexualité, au point que la nouvelle norme est devenue le refus de toute norme. En distinguant normalisation et normativité, Pierre Niedergang affirme que la critique de la normalisation, bien légitime, n’implique pas une position antinormative mais au contraire une « normativité queer ». Après avoir étudié les impasses de l’antinormativité, notamment concernant les violences sexuelles, l’auteur décrit cette normativité queer : critique, communautaire et vitale. Reconnaître cette inventivité normative à l’œuvre dans nos communautés permettrait de construire une perspective queer féministe consciente de la dimension matérielle des oppressions et des rapports de pouvoir qui se nouent au cœur de nos relations, de nos corporéités et de nos sexualités. »

Bibliographie
Niedergang, Pierre. Vers la normativité queer, Éditions Blast, Avril 2023.

“Œdipe Zombie. Familles queers, inceste et tradition psychanalytique”, in : Critique, n°915-916, (https://www.cairn.info/revue-critique...)

“Désirer dans un monde mauvais. Amia Srinivasan et la critique politique du désir au XXIe siècle” avec Arto Charpentier, in : Critique, n°911, disponible sur cairn (https://www.cairn.info/revue-critique...)

Intervenant
Pierre Niedergang est docteur en philosophie de l’Université Paris-Nanterre. Ces travaux portent sur les théories queers, la psychanalyse et la philosophie française contemporaine. Il est l’auteur de Vers la normativité queer (Blast, 2023) ainsi que de plusieurs articles dont « Violence sexuelle ou “initiation” ? Communautés, trauma et normativité queer » (2021) co-écrit avec Tal Piterbraut-Merx et « La séduction culturelle comme modalité de l’immanence désir-pouvoir. Proposition à l’adresse des psychanalyses queer » (2022).