L’alternance, effet de mode, vieille idée neuve, pédagogie spécifique magnifiée, autant de qualificatifs pour désigner une espérance éducative. L’alternance, c’est d’abord un désir de changement, une rupture avec une pédagogie dont le caractère traditionnel rivalise avec une certaine normalité scolaire (Houssaye, 2014). Mais l’alternance, c’est aussi le projet d’occasions d’apprentissage, l’envie d’un autre voyage, un Mont Analogue (Daumal, 1952) prometteur tant esquissé, jamais atteint. Face à tant d’attentes, l’alternance semble avoir su très tôt trouver son contexte d’usage et sa visée pragmatique : une formation professionnelle modernisée, réinventée au service d’une synergie (enfin réalisée) entre l’École et l’entreprise, autrement dit d’une instruction-socialisation-qualification professionnelle des élèves et des jeunes adultes. Elle cherche aussi à incarner l’adaptation entre l’École et la vie (Houssaye, 1987). Mais, en reprenant sans distance critique ce plaidoyer en faveur de l’alternance, ne risque-t-on pas de la réduire à une doxa stratégique et organisationnelle, notamment si nous la laissons interpréter et récupérer par des idéologies oubliant l’apprenant au profit de la recherche d’une plus grande efficacité de l’appareil de production. Face à cette réalité, les discours politico-organisationnels sur l’alternance ne soulignent-ils pas l’expression d’un relâchement du cogito pédagogique bachelardien dont parle Michel Fabre (1995) et de l’oubli de la nécessaire exigence critique nécessaire à toute réflexion éducative ? L’alternance peut-elle se réduire à une obsession de l’efficacité soumis à un management débridé où le rapport formateur-formé ne s’inscrit plus dans une visée d’apprentissage mais dans un rapport de force délétère entre un donneur d’ordre et un exécutant ? Si l’alternance s’est vue parfois confisquée par l’univers de la consultance et de l’ingénierie, si l’alternance s’est vue souvent imposée ses éléments de langage issus des théories du management, si l’alternance s’est vue remplacée par l’inflation d’artefacts, c’est sans doute en raison de l’oubli de sa raison d’être : l’acte d’apprendre. En effet, comment convoquer l’alternance si l’on ne souligne pas sa visée première : apprendre.
Mais de quel apprendre s’agit-il ? De celui porté par la psychologie cognitive, de celui défendu par la psychologie sociale ou d’un apprendre, toujours en embuscade, au sein même des théories d’analyse de l’activité ? Pour définir cet apprendre en contexte d’alternance, il convient non seulement de caractériser le fondement épistémologique et le cadre théorique de cet apprendre si particulier, mais aussi d’explorer les différentes pédagogies susceptibles de servir un acte d’apprendre mis en dialogue, et pas seulement en contexte, avec les différentes figures de l’alternance. Une fois ces paysages de l’alternance identifiés, un travail d’élucidation et de clarification s’impose visant à penser des pédagogies mobilisables ayant pour finalité l’acte d’apprendre. Nous pourrions ainsi réfléchir ensemble, en pédagogues avertis, à des pédagogies au service d’un mieux-être, autrement dit, comme le dit Olivier Reboul (2010), envisager l’émergence d’une valeur et non la quête d’une norme à respecter que trop souvent les discours sur la pédagogie de l’alternance nous invitent à atteindre. Si l’alternance s’est trop souvent perdue dans les méandres de stratégies organisationnelles, la pédagogie fut aussi cette oubliée, en particulier de la formation des adultes, trop pressée de répondre à une logique de marché et trop encline à vouloir se démarquer de l’éducation scolaire. Il y a donc aujourd’hui nécessité d’inventer une alternance en dialogue fécond avec une pédagogie dont la définition proposée par Jean Houssaye (2013) épouse les attributs de l’alternance : un enveloppement mutuel et dialectique (nous pourrions ajouter réciproque) de la théorie et de la pratique éducatives par la même personne sur la même personne. Et si la pédagogie n’était-elle pas intrinsèquement une « alternance en acte », portée simultanément par un formateur et par un formé, œuvrant tous deux pour un apprentissage-transformateur partagé et mutualisé (Alhadeff-Jones, 2017) ? Pédagogie et alternance se retrouveraient alors autour d’une même finalité : l’acte d’apprendre. Elles exprimeraient, l’une et l’autre, une relation éducative dialogique et dialectique entre théorie et pratique. Elles obligeraient à adopter un regard réflexif et nécessairement critique sur l’agir humain. Elles produiraient toutes deux un savoir, issu de cet enveloppement. Il s’agirait alors d’un savoir dont la mise en débat serait la condition pour confirmer la valeur de cet acte d’apprendre-transformateur dont le dessein assumé est bien le projet d’un mieux-être. Cette communication visera à mettre à jour les liens nécessairement complexes entre apprendre, pédagogie et alternance.
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