Il était une fois ChatGPT : Brève histoire d'une IA régressive, par Hugues Bersini

Cours-conférence dispensé au Collège Belgique à Bruxelles le 27 mars 2024, par Hugues Bersini
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🔹 La maîtrise du langage, témoin clé de notre intelligence humaine, tant dans sa perception, sa compréhension que sa production, a toujours été un des Graals de l’IA, depuis la définition originelle qu’en donna Alan Turing. Une science algorithmisée de son traitement vit très vite le jour, dès les années soixante-dix et quatre-vingts, sous l’impulsion des formidables pionniers que furent Noam Chomsky et Roger Schank. Les réseaux de neurones, possibles candidats à cette prise en charge, et bien que légitimés sinon adoubés par leur inspiration biologique, furent alors sévèrement critiqués, par leur côté sub-symbolique, essentiellement numérique et statistique, là où les chercheurs de l’époque voyaient la langue comme le lieu idéalisé d’un traitement symbolique, soumis à des règles explicites de production. Il y eut à cette époque la claire affirmation d’une IA plutôt conscience et explicite sur celle que j’ai souvent traitée «d’inconsciente », car ne laissant plus effleurer et manipuler ces mêmes règles de production. A l’époque, s’il fallait continuer un récit démarrant par « Il était une fois une princesse… », les logiciels de l’époque se reposaient, parmi d’autres mécanismes explicites, sur les relations conceptuelles (les réseaux sémantiques) connectant « une princesse » à son « prince », « son château », « son roi » ou « ses robes », et sur la préservation syntaxique de l’imparfait dans la continuation du récit (les générateurs syntaxiques).

Et voici qu’arrive ChatGPT qui n’a que faire et se moque des règles, et c’est bluffant ! C’est un choc immense, vu la surprise et l’enthousiasme extraordinaire qu’il suscite (des dizaines de millions d’utilisateurs). Il fait suivre « la princesse » d’un chapelet de mots parmi les plus présents dans la masse gigantesque et informe de textes, présents et disséminés partout, sur des myriades de disques durs informatiques, et succédant partout où cela est possible à « Il était une fois une princesse ». Toutes ces suites de mots, et la syntaxe qui les assemble, se trouvent numérisées et paramétrisées dans de gigantesques réseaux de neurones, appelés « Transformer », qui assimilent ces suites au départ d’un corpus de texte dont la taille défie l’imagination tout autant que sa vitesse de croissance. C’est depuis une bonne dizaine d’années, puissance de calcul et PetaByte (un PetaByte équivaut à un milliard de livres) de données stockées aidant, et au grand dam de toute une génération de linguistes computationnels, l’extraordinaire revanche de cette IA inconsciente sur sa version consciente. Comment cela a-t-il été possible ? Comment les linguistes se sont vus dépossédés de leur démarche et leur progrès scientifique par ces gloutons neuronaux ? Toute connaissance scientifique peut-elle se retrouver enfouie dans des milliards de paramètres qui restituent à l’identique ce que cette connaissance à réussir à prédire et produire jusqu’aujourd’hui ? Une réconciliation entre ces deux IA est-elle encore à l’ordre du jour ? C’est à toutes ces questions et quelques autres que cet exposé, lié à l'essai publié en novembre 2023 aux éditions de l'Université libre de Bruxelles ( informations ici : https://actus.ulb.be/fr/actus/recherc...) cherchera à apporter une esquisse de réponses.  

🔸 Hugues Bersini est Membre titulaire de la Classe Technologie et Société de l'Académie royale de Belgique. Il est ingénieur civil. Docteur en sciences appliquées. Professeur à l’Université libre de Bruxelles et directeur du Centre d’Intelligence artificielle de l’Université libre de Bruxelles (IRIDIA).
Il est l'auteur de huit ouvrages consacrés aux technologies de l'information et aux systèmes complexes. Il est auteur de plus de 300 publications et a accompagné la création de plusieurs spin-off dédiées au traitement de données informatisées pour le secteur marchand et médical. Un membre de son laboratoire a reçu le prix Marie Curie du meilleur chercheur européen et le prix FNRS des sciences appliquées.

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