Des meurtriers qui ne sont jamais nommés — extrait de "Qui a tué mon père", d'Édouard LOUIS, 2018

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Le Lundi 13 février 2023, le député Saintoul a appelé le ministre Dussopt, ministre du travail, "assassin". — Il mettait en cause la responsabilité du gouvernement dans une spectaculaire hausse du nombre de morts dus à des accidents du travail, imputant cette hausse à la suppression des Comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT).

Grand mal lui en avait pris ! Le député Saintoul venait de rompre, dans le sanctuaire même de la démocratie bourgeoise, l'entente tacite bourgeoise par excellence : celle de ne jamais nommer la violence de la bourgeoisie.

La bronca fut immédiate, et tous les groupes parlementaires, dans la plus belle des unanimités bourgeoises (du Parti communiste au Front national) se succédèrent à la tribune afin de désavouer le député Saintoul, d'exprimer leur franche solidarité avec l'éploré ministre Dussopt, et d'appeler à ce que soit restaurée la dignité des débats. Le député Saintoul, lâché jusque par les siens, n'eut d'autre choix que d'aplatir sa personne et présenter ses excuses.


Pourtant, qu'y a-t-il d'excessif à appeler assassins des responsables politiques qui, l'âme claire et d'un trait de plume, font adopter des mesures qui détruiront des corps et qui écourteront des vies humaines ? Qui exigent de faire travailler plus longtemps des gens usés, donc d'augmenter (parmi les plus pauvres d'abord) le nombre de ceux qui mourront au travail ? Qui aggraveront les décotes, et feront vivre avec moins des gens qui déjà vivent avec peu ? Tout cela, sans autre nécessité que de dégager de quoi baisser les impôts de production pour offrir davantage de profits au Capital... qui, pour l'essentiel, les dilapidera en énièmes « dividendes records » — dites-moi que vous aussi, vous voyez d'ici les gros titres ?

Qu'y a-t-il d'excessif à les appeler assassins, eux qui se félicitent de coupes dans le financement de l'hôpital public (et trinquent même pour fêter cela à la buvette de l'Assemblée, nous apprend Nicolas Framont), alors que ces coupes, à l'autre bout de la chaîne, vont faire mourir des gens sur des brancards dans des couloirs d'urgences débordées ?

De quel autre mot désigner des gens qui désarment l'inspection du travail, diminuent les droits syndicaux, détruisent les instances de contrôle salarié des conditions de travail, et propulsent le pays en position de champion européen du nombre de morts au travail ? Qui autorisent les usines de l'agroalimentaire à mener leurs propres inspections sanitaires, pour en bout de course voir des enfants mourir contaminés par Escherichia coli pour avoir mangé une pizza mal faite ? Qui trouvent sensé de venir jusque devant la Fondation Abbé Pierre soutenir le bien fondé de jeter des squatteurs à la rue (où certains mourront) pour défendre le droit des multipropriétaires ?


Décidément, oui : "assassin" convient. Le mot n'est excessif qu'aux oreilles des dominants. Leur domination consiste précisément en ceci que leur violence, institutionnelle et feutrée, ne leur apparaît jamais comme violente. Dans le même temps, le moindre haussement de ton venu d'en bas est tenu d'emblée pour une sauvagerie sans nom.

Le scandale n'est pas que des ministres soient appelés "assassins" pour des mesures qui ont coûté ou qui coûteront plusieurs centaines et milliers de vies humaines ; le scandale, c'est les mesures qui coûtent des vies humaines. Nous vivons dans un monde renversé, où indisposer un ministre est réputé plus grave qu'acter des décisions qui tuent des gens ? Après tout, hein ! c'est que les pauvres, ça crève comme les pluies tombent et comme les marées passent. Ça ne compte pas vraiment. On n'embête pas un ministre à lui lancer de vilains mots pour si peu de chose.


Il me serait loisible de dire encore longtemps la révulsion et la colère dont ce spectacle m'a empli. Mais il me paraît plus délicat de m'arrêter ici pour relayer plutôt un passage du livre d'Édouard Louis, Qui a tué mon père, dans lequel l'auteur met en vis-à-vis la décrépitude d'un homme, d'un corps, d'une vie, et face à elle l'irresponsabilité criminelle des décisions prises par des politiciens toujours trop peu conscients du mal qu'ils font.


Qui a tué mon père, publié aux éditions du Seuil en 2018, disponible ici : https://www.placedeslibraires.fr/livr...

Il existe également une version audio de l'ouvrage, lue par Édouard Louis lui-même, disponible sur Audiolib : https://www.audiolib.fr/livre/qui-tue...

La lecture de l'extrait, tiré du troisième et ultime chapitre, est faite par mes soins. J'aurais eu plaisir à publier la lecture de l'auteur, mais j'en aurais été empêché par les gestionnaires d'ayants-droits, qui auraient bloqué la vidéo.



SOMMAIRE
0:00 Titre
0:29 L'accident
3:43 Chirac, Bertrand
4:27 Sarkozy, Hirsch
6:37 La prime, la mer
8:17 Hollande, Valls, El Khomri
9:19 Macron, et les meurtriers jamais nommés
13:33 L'histoire de ton corps accuse l'histoire politique

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